mardi 19 juillet 2011

Accusé Rocco, levez-vous !


J’avais dix ans et mon cousin en avait un an de moins que moi. Comme tous les ans, nous passions les vacances d’été chez un oncle au bord de la plage ; trois mois pleins à ne rien faire que se baigner, jouer, lire et en un mot profiter de notre enfance avec toute l’insouciance que cela impliquait. Un jour, alors que tous les adultes de la maison faisaient la sieste, mon cousin et moi décidâmes de faire une « descente exploratoire » dans le garage car notre curiosité était déjà éperonnée depuis des semaines par des valises poussiéreuses entassées de part et d’autres du passage laissé libre pour la voiture. Sans difficulté, nous ouvrâmes la première valise bombée comme une femme enceinte et jetâmes un coup d’œil sur son contenu… Oh surprise ! Une quantité ahurissante de numéros du magazine de charme « Playboy » datant des années soixante-dix, époque où les femmes nouaient un foulard autour du cou et les hommes se galbaient les fesses dans des pantalons moulants. Feuilleter quelques uns de ces magazines en hâte et avec l’excitation provoquée par la peur d’être surpris fut, pour les gamins que nous étions, un grand moment « d’aventure ». Poussés par notre « instinct investigateur », nous continuâmes de fouiller et tombâmes sur une cassette VHS anonyme sans étiquette ni étui. Nous remontâmes à grandes enjambées vers le salon et insérâmes notre trouvaille dans le ventre du magnétoscope. Son mis sur muet et porte verrouillée, nous en regardâmes le contenu en accéléré afin d’en raccourcir la durée… Inutile de dire qu’après cet épisode, j’étais devenu l’expert du « comment fait-on les bébés ? » à l’école même si j’ai compris quelques années après que les électrodes et autres pinces crocodiles n’étaient nullement nécessaires mais que certains aimaient mettre un peu de peps dans ces « moments privés ». Bien entendu, je tiens à rassurer les lectrices et les lecteurs que je n’étais pas devenu un obsédé sexuel ni un violeur en série depuis ce temps-là.

Des mafieux, des tortionnaires, des corrompus et des voleurs de l’ancien régime continuent de vivre le plus communément du monde et voilà que trois avocats lancent une procédure accélérée afin de censurer les sites classés X sur le net. Le Tribunal Primaire de Tunis leur donne raison trois jours après et ordonne la disparition de ces sites de la toile, illico presto. L’ATI s’entête et fait appel par l’intermédiaire de son Directeur, Moez Chakchouk. Les Facebookers s’entretuent par statuts et commentaires interposés. Des journalistes s’érigent en défendeurs des bonnes mœurs et d’autres crient au scandale après cette décision liberticide. Des pédopsychiatres tirent la sonnette d’alarme sur l’influence néfaste de tels sites sur les enfants et d’autres spécialistes disent que l’éducation sexuelle chez les orientaux est une catastrophe et doit évoluer vers plus de… « transparence ».


La question que je me pose est sur quelle base le juge a-t-il émis son jugement ? Si la Justice se posait en protectrice des préceptes religieux, il faudrait qu’elle interdise aussi la vente des boissons alcoolisées ainsi que celle de la viande porcine. Et même si elle le faisait, il faudrait qu’elle se réfère à des lois votées par un parlement élu ce qui est encore loin d’être le cas. Poussant le raisonnement plus loin encore : comment se fait-il que la Justice interdise les sites classés X alors qu’elle continue de tolérer la vente au vu et au su de tous et en toute légalité de la Dreambox. Pour ceux qui ne la connaissent pas encore et ceci m’étonnerait fort, la Dreambox vendue en Tunisie est une copie chinoise contrefaite de la vraie Dreambox allemande et permet de décoder toutes les chaînes satellitaires via une connexion internet. Ainsi la Justice tunisienne ne s’offusque pas de voir 10 millions de personnes pirater des programmes pour lesquels les téléspectateurs « légaux » ailleurs payent 40 euros d’abonnement par mois au bas mot. Plus encore, la Dreambox donne accès à toutes les chaînes pornographiques également, alors où est la cohérence ? Vous pourriez me dire qu’il est difficile à un enfant ou un adolescent de regarder des choses inavouables à la télévision puisque celle-ci est généralement placée dans le salon et toute la famille la regarde à la différence de l’ordinateur qui est dans sa chambre. Certes, mais il est aussi très facile de dévier le signal de la Dreambox sur l’ordinateur. Pire, les jeunes d’aujourd’hui s’y connaissent tellement bien qu’ils n’ont même pas besoin de se creuser les méninges pour contourner la censure et nous ‘lavons bien vu pendant la période de plomb de Zine et de ses acolytes. Enfin, de quel droit la Justice décrète-elle que tel ou tel « machin » est dangereux pour les 10 millions d’habitants d’un pays. Nous sommes quand même des adultes et nous savons faire la part des choses entre le Bien et le Mal. Et pour les parents qui ont peur pour les enfants ils n’ont qu’à savoir utiliser les programmes de verrouillage parental.


Dans les nations modernes on ne prend pas des décisions à l’emporte-pièce de ce type. Des études sont faites, des négociations sont entreprises et ensuite des solutions individualisées sont trouvées. L’intelligence humaine veut qu’on évite généralement de mettre tout le monde dans le même sac. Honnêtement et tant qu’on est entre nous et qu’on se dit tout, pensez-vous que les hommes et les femmes qui vivent dans les pays où les interdits de ce genre sont monnaie courante soient les plus prudes ? Que nenni car comme toujours l’interdiction crée la frustration et la frustration mène à l’excès. D’ailleurs, les regards les plus pervers et vicieux que j’ai vu se poser sur les filles dans la rue proviennent généralement des ressortissants de ces pays là. Nous nous sommes débarrassés de la dictature politique même si ce n’est pas encore complètement le cas alors évitons de tomber dans la dictature des faux jetons qui veulent imposer leur vision de la société sans être à leur tour irréprochables. Et une fois pour toutes, laissons les gens choisir par eux-mêmes leurs actes.


Chers avocats, chers juges, le peuple compte sur vous pour assainir le pays des voyous et des brigands qui l’ont détroussé de ses richesses et qui ont fini par tirer sur une foule désarmée sortie demander sa liberté. Ne vous dispersez pas et économisez vos efforts pour nous permettre d’atteindre ce qui est le plus important à nos yeux : une vraie justice au service d’une vraie démocratie.

1 commentaire:

  1. Vraiment rien à ajouter ! t'as tout dit ! Il est grave de se mêler de la liberté individuelle de chacun, dans un pays où la sexualité commence à être démocratisée, et où le ministère de santé organise des campagnes de sensibilisation sur le SIDA auprès des jeunes dans les facultés et même à la télé !

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